
Nous puisons
dans l'Osservatore Romano du 22 octobre 2002, les beaux textes
suivants, écrits par le Saint-Père sur le Rosaire. Vers Demain
désire aider à faire connaître la beauté du Rosaire en
publiant en entier la lettre apostolique «Rosarium Virginis
Mariae», du Pape Jean-Paul II, adressée à l'Episcopat, au
clergé et aux fidèles. Ces 16 pages du journal Vers Demain
sont gratuites. Demandez-en 100, 200 copies ou plus, pour
distribuer autour de vous.
ANGELUS de Castel
Gandolfo
le 29 septembre
2002
Jean-Paul II confie la cause de
la paix
à la prière du Rosaire
Très chers frères
et soeurs!
1. Nous sommes
désormais au seuil du mois d'octobre qui, avec la mémoire
liturgique de la Bienheureuse Vierge du Rosaire, nous
encourage à redécouvrir cette prière traditionnelle, si simple
et dans le même temps si profonde.
Le Rosaire est un
itinéraire de contemplation du visage du Christ accompli, pour
ainsi dire, avec les yeux de Marie. C'est donc une prière qui
s'enracine dans le coeur même de l'Evangile, qui reste en
pleine harmonie avec l'inspiration du Concile Vatican II et
qui est dans la droite ligne de l'orientation que j'ai donnée
dans la Lettre apostolique Novo millennio ineunte: il
est nécessaire que l'Eglise «avance en eaux profondes» dans ce
nouveau millénaire, en repartant de la contemplation du visage
du Christ.
Je souhaite donc
suggérer la récitation du Rosaire aux personnes, aux familles,
aux communautés chrétiennes. Pour donner force à cette
invitation, je suis également en train de préparer un
document, qui aide à redécouvrir la beauté et la profondeur de
cette prière.
2. Je désire une
fois de plus confier la grande cause de la paix à la prière du
Rosaire. Nous nous trouvons face à une situation
internationale chargée de tensions, parfois à la limite de
l'embrasement. Dans certains lieux de la terre, où les
conflits sont plus tendus - je pense en particulier à la terre
martyrisée du Christ - on se rend compte que les tentatives de
la politique, même si elles sont toujours nécessaires, servent
peu si les âmes demeurent dans un état d'exaspération et si
l'on est pas capable de porter un nouveau regard du coeur pour
reprendre avec espérance les fils du dialogue.
Mais qui peut
diffuser de tels sentiments, sinon Dieu seul? Il est plus que
jamais nécessaire que ce soit vers Lui que s'élève du monde
entier l'invocation pour la paix. Précisément dans cette
perspective, le Rosaire se révèle une prière particulièrement
adaptée. Il édifie la paix non seulement parce qu'il fait
appel à la grâce de Dieu, mais aussi parce qu'il place en
celui qui le récite cette semence de bien, dont on peut
espérer des fruits de justice et de solidarité dans la vie
personnelle et communautaire.
Je pense aux
nations, mais également aux familles. Combien la paix serait
renforcée dans les relations familiales si l'on reprenait la
récitation du Rosaire en famille!
Audience
générale du mercredi 16 octobre 2002,
anniversaire de
l'élection du pape sur la Chaire de Pierre
 |
Notre-Dame
de Pompéi, Reine du Rosaire entourée de saint
Dominique et sainte Catherine de
Sienne |
Chers frères et
sœurs,
1. Au cours de mon
récent voyage en Pologne, je me suis adressé ainsi à la Sainte
Vierge: «Mère Très Sainte [...] obtiens pour moi les forces du
corps et de l'esprit, afin que je puisse accomplir jusqu'à son
terme la mission que m'a confiée le Ressuscité. A Toi, je
remets tous les fruits de ma vie et de mon ministère; à Toi,
je confie le sort de l'Eglise; [...] en Toi j'ai confiance et
à Toi encore une fois je déclare: Totus tuus, Maria! Totus
tuus! Amen» (Kalwaria Zebrzydowska, 19 août 2002).
Je répète ces
paroles aujourd'hui, en rendant grâce à Dieu pour mes
vingt-quatre années de service à l'Eglise sur le Siège de
Pierre. En ce jour particulier, je confie à nouveau entre les
mains de la Mère de Dieu la vie de l'Eglise et celle si
tourmentée de l'humanité. Je Lui confie également mon avenir.
Je dépose tout entre ses mains, afin qu'avec un amour de mère,
elle le présente à son Fils, «à la louange de sa gloire» (Ep
1, 12).
2. Le centre de
notre foi est le Christ, Rédempteur de l'homme. Marie ne lui
porte pas d'ombre, pas plus qu'à son oeuvre salvifique. Elevée
au ciel corps et âme, la Vierge, la première à goûter les
fruits de la passion et de la résurrection de son Fils, est
Celle qui de la façon la plus sûre nous conduit au Christ, le
but ultime de notre activité et de toute notre existence.
C'est pourquoi, en adressant à l'Eglise tout entière, dans la
Lettre apostolique Novo millennio ineunte,
l'exhortation du Christ à «avancer en eau profonde», j'ai
ajouté que «la Vierge très sainte nous accompagne sur ce
chemin. C'est à elle que [...] avec de nombreux évêques [...],
j'ai confié le troisième millénaire» (n. 58). Et en invitant
les croyants à contempler de façon incessante le visage du
Christ, j'ai profondément désiré que Marie, sa Mère, soit pour
tous la maîtresse de cette contemplation.
3. Aujourd'hui,
j'entends exprimer ce désir avec plus d'éclat à travers deux
gestes symboliques. Je signerai dans quelques instants la
Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariæ. En outre,
avec ce document, consacré à la prière du Rosaire, je proclame
l'année qui va d'octobre 2002 à octobre 2003, «Année du
Rosaire». Je le fais non seulement parce que cette année est
la vingt-cinquième de mon pontificat, mais également parce que
cette année marque le cent-vingtième anniversaire de
l'Encyclique Supremi apostolatus officio, avec
laquelle, le 1 septembre 1883, mon Vénéré Prédécesseur, le
Pape Léon XIII, inaugura le début de la publication d'une
série de documents précisément consacrés au Rosaire. Il y a
également une autre raison: dans
l'histoire des Grands Jubilés, on avait coutume, après
l'Année jubilaire consacrée au Christ et à l'oeuvre de la
Rédemption, de consacrer une autre année à Marie, comme pour
implorer d'Elle une aide permettant de faire fructifier les
grâces reçues.
4. Pour la tâche
exigeante, mais extraordinairement riche de contempler le
visage du Christ avec Marie, existe-t-il un meilleur moyen que
la prière du Rosaire? Nous devons cependant redécouvrir la
profondeur mystique contenue dans la simplicité de cette
prière, si chère à la tradition populaire. Dans sa structure,
en effet, cette prière mariale est surtout une méditation des
mystères de la vie et de l'oeuvre du Christ. En répétant
l'invocation de l'«Ave Maria», nous pouvons approfondir les
événements essentiels de la mission du Fils de Dieu sur terre,
qui nous ont été transmis par l'Evangile et par la Tradition.
Pour que cette synthèse de l'Evangile soit plus complète et
offre une plus grande inspiration, j'ai proposé, dans la
Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariæ, d'ajouter
cinq autres mystères à ceux actuellement contemplés dans le
Rosaire, et je les ai appelés «mystères lumineux». Ils
comprennent la vie publique du Sauveur, du Baptême dans le
Jourdain jusqu'au début de la Passion. Cette suggestion a pour
but d'amplifier l'horizon du Rosaire, afin qu'il soit possible
à celui qui le récite avec dévotion, et non de façon
mécanique, de pénétrer encore plus profondément dans le
contenu de la Bonne Nouvelle et de conformer toujours sa
propre existence à celle du Christ.
5. Je vous
remercie, vous tous ici présents, ainsi que ceux qui, en ce
jour particulier, sont spirituellement unis à moi. Je vous
remercie de votre bienveillance et en particulier de
l'assurance de votre soutien constant dans la prière. Je
confie ce document sur le Saint Rosaire aux pasteurs et aux
fidèles du monde entier. L'Année du Saint-Rosaire, que nous
vivrons ensemble, produira certainement des fruits bénéfiques
dans le coeur de tous, elle renouvellera et intensifiera
l'action de la grâce du grand Jubilé de l'An 2000 et elle
deviendra une source de paix pour le monde.
Que Marie, Reine
du Saint-Rosaire, que nous voyons ici, dans la belle image
vénérée à Pompéi, conduise les fils de l'Eglise à la plénitude
de l'union avec le Christ dans sa gloire!
LETTRE APOSTOLIQUE
Rosarium Virginis Mariae
DU
PAPE JEAN-PAUL II
À L'ÉPISCOPAT, AU CLERGÉ ET AUX
FIDÈLES
SUR LE
ROSAIRE
INTRODUCTION
1. Le Rosaire de la
Vierge Marie, qui s'est développé progressivement au cours du
deuxième millénaire sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu,
est une prière aimée de nombreux saints et encouragée par le
Magistère. Dans sa simplicité et dans sa profondeur, il reste,
même dans le troisième millénaire commençant, une prière d'une
grande signification, destinée à porter des fruits de
sainteté. Elle se situe bien dans la ligne spirituelle d'un
christianisme qui, après deux mille ans, n'a rien perdu de la
fraîcheur des origines et qui se sent poussé par l'Esprit de
Dieu à «avancer au large» (Duc in altum!) pour redire,
et même pour “crier” au monde, que le Christ est Seigneur et
Sauveur, qu'il est «le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14,
6), qu'il est «la fin de l'histoire humaine, le point vers
lequel convergent les désirs de l'histoire et de la
civilisation».
En effet, tout en
ayant une caractéristique mariale, le Rosaire est une prière
dont le centre est christologique. Dans la sobriété de ses
éléments, il concentre en lui la profondeur de tout le message
évangélique, dont il est presque un résumé. En lui résonne à
nouveau la prière de Marie, son Magnificat permanent pour
l'œuvre de l'Incarnation rédemptrice qui a commencé dans son
sein virginal. Avec lui, le peuple chrétien se met à l'école
de Marie, pour se laisser introduire dans la contemplation de
la beauté du visage du Christ et dans l'expérience de la
profondeur de son amour. Par le Rosaire, le croyant puise
d'abondantes grâces, les recevant presque des mains mêmes de
la Mère du Rédempteur.
Les
Pontifes romains et le Rosaire
2. Beaucoup de mes
prédécesseurs ont accordé une grande importance à cette
prière. À ce sujet, des mérites particuliers reviennent à Léon
XIII qui, le 1er septembre 1883, promulgua
l'encyclique Supremi apostolatus officio, paroles
fortes par lesquelles il inaugurait une série de nombreuses
autres interventions concernant cette prière, qu'il présente
comme un instrument spirituel efficace face aux maux de la
société. Parmi les Papes les plus récents qui, dans la période
conciliaire, se sont illustrés dans la promotion du Rosaire,
je désire rappeler le bienheureux Jean XXIII et surtout Paul
VI qui, dans l'exhortation apostolique Marialis cultus,
souligna, en harmonie avec l'inspiration du Concile Vatican
II, le caractère évangélique du Rosaire et son orientation
christologique.

|
Le
Pape baise la croix de son
chapelet. |
Puis, moi-même, je
n'ai négligé aucune occasion pour exhorter à la récitation
fréquente du Rosaire. Depuis mes plus jeunes années, cette
prière a eu une place importante dans ma vie spirituelle. Mon
récent voyage en Pologne me l'a rappelé avec force, et surtout
la visite au sanctuaire de Kalwaria. Le Rosaire m'a accompagné
dans les temps de joie et dans les temps d'épreuve. Je lui ai
confié de nombreuses préoccupations. En lui, j'ai toujours
trouvé le réconfort. Il y a vingt-quatre ans, le 29 octobre
1978, deux semaines à peine après mon élection au Siège de
Pierre, laissant entrevoir quelque chose de mon âme, je
m'exprimais ainsi: « Le Rosaire est ma prière préférée. C'est
une prière merveilleuse. Merveilleuse de simplicité et de
profondeur. [...] On peut dire que le Rosaire est, d'une
certaine manière, une prière-commentaire du dernier chapitre
de la Constitution Lumen gentium du deuxième Concile du
Vatican, chapitre qui traite de l'admirable présence de la
Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l'Église. En
effet, sur l'arrière-fond des Ave Maria défilent les
principaux épisodes de la vie de Jésus Christ. Réunis en
mystères joyeux, douloureux et glorieux, ils nous mettent en
communion vivante avec Jésus à travers le cœur de sa Mère,
pourrions-nous dire. En même temps, nous pouvons rassembler
dans ces dizaines du Rosaire tous les événements de notre vie
individuelle ou familiale, de la vie de notre pays, de
l'Église, de l'humanité, c'est-à-dire nos événements
personnels ou ceux de notre prochain, et en particulier de
ceux qui nous sont les plus proches, qui nous tiennent le plus
à cœur. C'est ainsi que la simple prière du Rosaire s'écoule
au rythme de la vie humaine ».
Par ces paroles,
chers frères et sœurs, je mettais dans le rythme quotidien du
Rosaire ma première année de Pontificat. Aujourd'hui, au début
de ma vingt-cinquième année de service comme Successeur de
Pierre, je désire faire de même. Que de grâces n'ai-je pas
reçues de la Vierge Sainte à travers le rosaire au cours de
ces années: Magnificat anima mea Dominum! Je désire
faire monter mon action de grâce vers le Seigneur avec les
paroles de sa très sainte Mère, sous la protection de laquelle
j'ai placé mon ministère pétrinien: Totus tuus!
Octobre
2002 - octobre 2003: Année du Rosaire
3. C'est pourquoi,
faisant suite à la réflexion proposée dans la Lettre
apostolique Novo millennio ineunte, dans laquelle,
après l'expérience jubilaire, j'ai invité le Peuple de Dieu à
« repartir du Christ », j'ai senti la nécessité de développer
une réflexion sur le Rosaire, presque comme un couronnement
marial de cette lettre apostolique, pour exhorter à la
contemplation du visage du Christ en compagnie de sa très
sainte Mère et à son école. En effet, réciter le Rosaire n'est
rien d'autre que contempler avec Marie le visage du Christ.
Pour donner un plus grand relief à cette invitation, profitant
de l'occasion du tout proche cent vingtième anniversaire de
l'encyclique de Léon XIII déjà mentionnée, je désire que, tout
au long de l'année, cette prière soit proposée et mise en
valeur de manière particulière dans les différentes
communautés chrétiennes. Je proclame donc l'année qui va
d'octobre de cette année à octobre 2003 Année du
Rosaire.
Je confie cette
directive pastorale à l'initiative des différentes communautés
ecclésiales. Ce faisant, je n'entends pas alourdir, mais
plutôt unir et consolider les projets pastoraux des Églises
particulières. Je suis certain que cette directive sera
accueillie avec générosité et empressement. S'il est
redécouvert dans sa pleine signification, le Rosaire conduit
au cœur même de la vie chrétienne, et offre une occasion
spirituelle et pédagogique ordinaire particulièrement féconde
pour la contemplation personnelle, la formation du Peuple de
Dieu et la nouvelle évangélisation. Il me plaît de le redire
aussi à l'occasion du souvenir joyeux d'un autre événement: le
quarantième anniversaire de l'ouverture du Concile œcuménique
Vatican II (11 octobre 1962), cette «grande grâce» offerte par
l'Esprit de Dieu à l'Église de notre temps.
Objections
au Rosaire
4. L'opportunité
d'une telle initiative découle de diverses considérations. La
première concerne l'urgence de faire face à une certaine crise
de cette prière qui, dans le contexte historique et
théologique actuel, risque d'être à tort amoindrie dans sa
valeur et ainsi rarement proposée aux nouvelles générations.
D'aucuns pensent que le caractère central de la liturgie, à
juste titre souligné par le Concile œcuménique Vatican II, a
eu comme conséquence nécessaire une diminution de l'importance
du Rosaire. En réalité, comme le précisait Paul VI, cette
prière non seulement ne s'oppose pas à la liturgie, mais en
constitue un support, puisqu'elle l'introduit bien et s'en
fait l'écho, invitant à la vivre avec une plénitude de
participation intérieure, afin d'en recueillir des fruits pour
la vie quotidienne.
D'autres craignent
peut-être qu'elle puisse apparaître peu œcuménique en raison
de son caractère nettement marial. En réalité, elle se situe
dans la plus pure perspective d'un culte à la Mère de Dieu,
comme le Concile Vatican II l'a défini: un culte orienté vers
le centre christologique de la foi chrétienne, de sorte que,
«à travers l'honneur rendu à sa Mère, le Fils [...] soit
connu, aimé, glorifié». S'il est redécouvert de manière
appropriée, le Rosaire constitue une aide, mais certainement
pas un obstacle à l'œcuménisme.
La voie de
la contemplation
5. Cependant, la
raison la plus importante de redécouvrir avec force la
pratique du Rosaire est le fait que ce dernier constitue un
moyen très valable pour favoriser chez les fidèles
l'engagement de contemplation du mystère chrétien que j'ai
proposé dans la lettre apostolique Novo millennio
ineunte comme une authentique «pédagogie de la sainteté»:
«Il faut un christianisme qui se distingue avant tout dans
l'art de la prière». Alors que dans la culture contemporaine,
même au milieu de nombreuses contradictions, affleure une
nouvelle exigence de spiritualité, suscitée aussi par les
influences d'autres religions, il est plus que jamais urgent
que nos communautés chrétiennes deviennent «d'authentiques
écoles de prière».
Le Rosaire se situe
dans la meilleure et dans la plus pure tradition de la
contemplation chrétienne. Développé en Occident, il est une
prière typiquement méditative et il correspond, en un sens, à
la «prière du cœur» ou à la «prière de Jésus», qui a germé sur
l'humus de l'Orient chrétien.
Prière
pour la paix et pour la famille
6. Certaines
circonstances historiques ont contribué à une meilleure
actualisation du renouveau du Rosaire. La première d'entre
elles est l'urgence d'implorer de Dieu le don de la paix. Le
Rosaire a été à plusieurs reprises proposé par mes
Prédécesseurs et par moi-même comme prière pour la paix. Au
début d'un millénaire, qui a commencé avec les scènes
horribles de l'attentat du 11 septembre 2001 et qui enregistre
chaque jour dans de nombreuses parties du monde de nouvelles
situations de sang et de violence, redécouvrir le Rosaire
signifie s'immerger dans la contemplation du mystère de Celui
«qui est notre paix», ayant fait «de deux peuples un seul,
détruisant la barrière qui les séparait, c'est-à-dire la
haine» (Ep 2, 14). On ne peut donc réciter le Rosaire sans se
sentir entraîné dans un engagement précis de service de la
paix, avec une attention particulière envers la terre de
Jésus, encore si éprouvée, et particulièrement chère au cœur
des chrétiens.
De manière
analogue, il est urgent de s'engager et de prier pour une
autre situation critique de notre époque, celle de la famille,
cellule de la société, toujours plus attaquée par des forces
destructrices, au niveau idéologique et pratique, qui font
craindre pour l'avenir de cette institution fondamentale et
irremplaçable, et, avec elle, pour le devenir de la société
entière. Dans le cadre plus large de la pastorale familiale,
le renouveau du Rosaire dans les familles chrétiennes se
propose comme une aide efficace pour endiguer les effets
dévastateurs de la crise actuelle.
«Voici ta
mère!» (Jn 19, 27)

|
«Jean, voici ta
mère!» |
7. De nombreux
signes montrent ce que la Vierge Sainte veut encore réaliser
aujourd'hui, précisément à travers cette prière; cette mère
attentive à laquelle, dans la personne du disciple bien-aimé,
le Rédempteur confia au moment de sa mort tous les fils de
l'Église: «Femme, voici ton Fils» (Jn 19,26). Au cours du
dix-neuvième et du vingtième siècles, les diverses
circonstances au cours desquelles la Mère du Christ a fait en
quelque sorte sentir sa présence et entendre sa voix pour
exhorter le Peuple de Dieu à cette forme d'oraison
contemplative sont connues. En raison de la nette influence
qu'elles conservent dans la vie des chrétiens et à cause de
leur reconnaissance importante de la part de l'Église, je
désire rappeler en particulier les apparitions de Lourdes et
de Fatima, dont les sanctuaires respectifs constituent le but
de nombreux pèlerins à la recherche de réconfort et
d'espérance.
Sur les
pas des témoins
8. Il serait
impossible de citer la nuée innombrable de saints qui ont
trouvé dans le Rosaire une authentique voie de sanctification.
Il suffira de rappeler saint Louis Marie Grignion de Montfort,
auteur d'une œuvre précieuse sur le Rosaire (Le secret
admirable du très saint Rosaire), et plus près de nous, Padre
Pio de Pietrelcina, qui j'ai eu récemment la joie de
canoniser. Le bienheureux Bartolo Longo eut un charisme
spécial, celui de véritable apôtre du Rosaire. Son chemin de
sainteté s'appuie sur une inspiration entendue au plus profond
de son cœur: «Qui propage le Rosaire est sauvé!». À
partir de là, il s'est senti appelé à construire à Pompéi un
sanctuaire dédié à la Vierge du Saint Rosaire près des ruines
de l'antique cité tout juste pénétrée par l'annonce
évangélique avant d'être ensevelie en 79 par l'éruption du
Vésuve et de renaître de ses cendres des siècles plus tard,
comme témoignage des lumières et des ombres de la civilisation
classique.
Par son œuvre
entière, en particulier par les «Quinze Samedis», Bartolo
Longo développa l'âme christologique et contemplative du
Rosaire; il trouva pour cela un encouragement particulier et
un soutien chez Léon XIII, le «Pape du Rosaire».
CHAPITRE I
CONTEMPLER
LE CHRIST AVEC MARIE
Un visage
resplendissant comme le soleil
9. «Et il fut
transfiguré devant eux: son visage devint brillant comme le
soleil» (Mt 17, 2). L'épisode évangélique de la
transfiguration du Christ, dans lequel les trois Apôtres
Pierre, Jacques et Jean apparaissent comme ravis par la beauté
du Rédempteur, peut être considéré comme icône de la
contemplation chrétienne. Fixer les yeux sur le visage du
Christ, en reconnaître le mystère dans le chemin ordinaire et
douloureux de son humanité, jusqu'à en percevoir la splendeur
divine définitivement manifestée dans le Ressuscité glorifié à
la droite du Père, tel est le devoir de tout disciple du
Christ; c'est donc aussi notre devoir. En contemplant ce
visage, nous nous préparons à accueillir le mystère de la vie
trinitaire, pour faire l'expérience toujours nouvelle de
l'amour du Père et pour jouir de la joie de l'Esprit Saint. Se
réalise ainsi pour nous la parole de saint Paul: «Nous
reflétons tous la gloire du Seigneur, et nous sommes
transfigurés en son image, avec une gloire de plus en plus
grande, par l'action du Seigneur qui est Esprit» (2 Co 3,
18).
Marie
modèle de contemplation
10. La
contemplation du Christ trouve en Marie son modèle
indépassable. Le visage du Fils lui appartient à un titre
spécial. C'est dans son sein qu'il s'est formé, prenant aussi
d'elle une ressemblance humaine qui évoque une intimité
spirituelle assurément encore plus grande. Personne ne s'est
adonné à la contemplation du visage du Christ avec autant
d'assiduité que Marie. Déjà à l'Annonciation, lorsqu'elle
conçoit du Saint-Esprit, les yeux de son cœur se concentrent
en quelque sorte sur Lui; au cours des mois qui suivent, elle
commence à ressentir sa présence et à en pressentir la
physionomie. Lorsque enfin elle lui donne naissance à
Bethléem, ses yeux de chair se portent aussi tendrement sur le
visage de son Fils tandis qu'elle l'enveloppe de langes et le
couche dans une crèche (cf. Lc 2, 7).
À partir de ce
moment-là, son regard, toujours riche d'un étonnement
d'adoration, ne se détachera plus de Lui. Ce sera parfois un
regard interrogatif, comme dans l'épisode de sa perte au
temple: «Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela?» (Lc 2,
48); ce sera dans tous les cas un regard pénétrant, capable de
lire dans l'intimité de Jésus, jusqu'à en percevoir les
sentiments cachés et à en deviner les choix, comme à Cana (cf.
Jn 2, 5); en d'autres occasions, ce sera un regard douloureux,
surtout au pied de la croix, où il s'agira encore, d'une
certaine manière, du regard d'une «femme qui accouche»,
puisque Marie ne se limitera pas à partager la passion et la
mort du Fils unique, mais qu'elle accueillera dans le disciple
bien-aimé un nouveau fils qui lui sera confié (cf. Jn 19,
26-27); au matin de Pâques, ce sera un regard radieux en
raison de la joie de la résurrection et, enfin, un regard
ardent lié à l'effusion de l'Esprit au jour de la Pentecôte
(cf. Ac 1, 14).
Les
souvenirs de Marie
11. Marie vit en
gardant les yeux fixés sur le Christ, et chacune de ses
paroles devient pour elle un trésor: «Elle retenait tous ces
événements et les méditait dans son cœur» (Lc 2, 19; cf. 2,
51). Les souvenirs de Jésus, imprimés dans son esprit, l'ont
accompagnée en toute circonstance, l'amenant à parcourir à
nouveau, en pensée, les différents moments de sa vie aux côtés
de son Fils. Ce sont ces souvenirs qui, en un sens, ont
constitué le “rosaire” qu'elle a constamment récité au long
des jours de sa vie terrestre.
Et maintenant
encore, parmi les chants de joie de la Jérusalem céleste, les
motifs de son action de grâce et de sa louange demeurent
inchangés. Ce sont eux qui inspirent son attention maternelle
envers l'Église en pèlerinage, dans laquelle elle continue à
développer la trame de son «récit» d'évangélisatrice. Marie
propose sans cesse aux croyants les «mystères» de son Fils,
avec le désir qu'ils soient contemplés, afin qu'ils puissent
libérer toute leur force salvifique. Lorsqu'elle récite le
Rosaire, la communauté chrétienne se met en syntonie avec le
souvenir et avec le regard de Marie.
Le
Rosaire, prière contemplative
12. C'est
précisément à partir de l'expérience de Marie que le Rosaire
est une prière nettement contemplative. Privé de cette
dimension, il en serait dénaturé, comme le soulignait Paul VI:
«Sans la contemplation, le Rosaire est un corps sans âme, et
sa récitation court le danger de devenir une répétition
mécanique de formules et d'agir à l'encontre de
l'avertissement de Jésus: “Quand vous priez, ne rabâchez pas
comme les païens; ils s'imaginent qu'en parlant beaucoup, ils
se feront mieux écouter” (Mt 6, 7). Par nature, la récitation
du Rosaire exige que le rythme soit calme et que l'on prenne
son temps, afin que la personne qui s'y livre puisse mieux
méditer les mystères de la vie du Seigneur, vus à travers le
cœur de Celle qui fut la plus proche du Seigneur, et qu'ainsi
s'en dégagent les insondables richesses».
Il convient de nous
arrêter sur la pensée profonde de Paul VI, pour faire
apparaître certaines dimensions du Rosaire qui en définissent
mieux le caractère propre de contemplation
christologique.
Se
souvenir du Christ avec Marie
13. La
contemplation de Marie est avant tout le fait de se souvenir.
Il faut cependant entendre ces paroles dans le sens biblique
de la mémoire (zakar), qui rend présentes les œuvres
accomplies par Dieu dans l'histoire du salut. La Bible est le
récit d'événements salvifiques, qui trouvent leur sommet dans
le Christ lui-même. Ces événements ne sont pas seulement un
«hier»; ils sont aussi l'aujourd'hui du salut. Cette
actualisation se réalise en particulier dans la liturgie: ce
que Dieu a accompli il y a des siècles ne concerne pas
seulement les témoins directs des événements, mais rejoint par
son don de grâce l'homme de tous les temps. Cela vaut aussi
d'une certaine manière pour toute autre approche de dévotion
concernant ces événements: «en faire mémoire» dans une
attitude de foi et d'amour signifie s'ouvrir à la grâce que le
Christ nous a obtenue par ses mystères de vie, de mort et de
résurrection.
C'est pourquoi,
tandis qu'il faut rappeler avec le Concile Vatican II que la
liturgie, qui constitue la réalisation de la charge
sacerdotale du Christ et le culte public, est «le sommet vers
lequel tend l'action de l'Église et en même temps la source
d'où découle toute sa force», il convient aussi de rappeler
que la vie spirituelle «n'est pas enfermée dans les limites de
la participation à la seule sainte Liturgie. Le chrétien,
appelé à prier en commun, doit néanmoins aussi entrer dans sa
chambre pour prier son Père dans le secret (cf. Mt 6, 6) et
doit même, selon l'enseignement de l'Apôtre, prier sans
relâche (cf. 1 Th 5, 17)».16 Avec sa spécificité, le Rosaire
se situe dans ce panorama multicolore de la prière
“incessante” et, si la liturgie, action du Christ et de
l'Église, est l'action salvifique par excellence, le Rosaire,
en tant que méditation sur le Christ avec Marie, est une
contemplation salutaire. Nous plonger en effet, de mystère en
mystère, dans la vie du Rédempteur, fait en sorte que ce que
le Christ a réalisé et ce que la liturgie actualise soient
profondément assimilés et modèlent notre existence.
Par Marie,
apprendre le Christ
14. Le Christ est
le Maître par excellence, le révélateur et la révélation. Il
ne s'agit pas seulement d'apprendre ce qu'il nous a enseigné,
mais «d'apprendre à le connaître Lui». Et quel maître, en ce
domaine, serait plus expert que Marie? S'il est vrai que, du
point de vue divin, l'Esprit est le Maître intérieur qui nous
conduit à la vérité tout entière sur le Christ (cf Jn 14, 26;
15, 26; 16, 13), parmi les êtres humains, personne mieux
qu'elle ne connaît le Christ; nul autre que sa Mère ne peut
nous faire entrer dans une profonde connaissance de son
mystère.
Le premier des
«signes» accomplis par Jésus – la transformation de l'eau en
vin aux noces de Cana – nous montre justement Marie en sa
qualité de maître, alors qu'elle invite les servants à suivre
les instructions du Christ (cf. Jn 2, 5). Et nous pouvons
penser qu'elle a rempli cette fonction auprès des disciples
après l'Ascension de Jésus, quand elle demeura avec eux dans
l'attente de l'Esprit Saint et qu'elle leur apporta le
réconfort dans leur première mission. Cheminer avec Marie à
travers les scènes du Rosaire, c'est comme se mettre à
«l'école» de Marie pour lire le Christ, pour en pénétrer les
secrets, pour en comprendre le message.
L'école de Marie
est une école tout particulièrement efficace si l'on considère
que Marie l'accomplit en nous obtenant l'abondance des dons de
l'Esprit Saint, en nous offrant aussi l'exemple du «
pèlerinage dans la foi » dont elle est un maître incomparable.
Face à chaque mystère de son Fils, elle nous invite, comme
elle le fit à l'Annonciation, à poser humblement les questions
qui ouvrent sur la lumière, pour finir toujours par
l'obéissance de la foi: «Je suis la servante du Seigneur; que
tout se passe pour moi selon ta parole!» (Lc 1,
38).
Se
conformer au Christ avec Marie
15. La spiritualité
chrétienne a pour caractéristique fondamentale l'engagement du
disciple à «se conformer» toujours plus pleinement à son
Maître (cf. Rm 8, 29; Ph 3, 10.21). Par l'effusion de l'Esprit
reçu au Baptême, le croyant est greffé, comme un sarment, sur
la vigne qu'est le Christ (cf. Jn 15, 5), il est constitué
membre de son Corps mystique (cf. 1Co 12, 12; Rm 12, 5). Mais
à cette unité initiale doit correspondre un cheminement de
ressemblance croissante avec lui qui oriente toujours plus le
comportement du disciple dans le sens de la «logique» du
Christ: «Ayez entre vous les dispositions que l'on doit avoir
dans le Christ Jésus» (Ph 2, 5). Selon les paroles de
l'Apôtre, il faut «se revêtir du Seigneur Jésus Christ» (cf.
Rm 13, 14; Ga 3, 27).
Dans le parcours
spirituel du Rosaire, fondé sur la contemplation incessante –
en compagnie de Marie – du visage du Christ, on est appelé à
poursuivre un tel idéal exigeant de se conformer à Lui grâce à
une fréquentation que nous pourrions dire «amicale». Elle nous
fait entrer de manière naturelle dans la vie du Christ et pour
ainsi dire «respirer» ses sentiments. Le bienheureux Bartolo
Longo dit à ce propos: «De même que deux amis qui se
retrouvent souvent ensemble finissent par se ressembler même
dans la manière de vivre, de même, nous aussi, en parlant
familièrement avec Jésus et avec la Vierge, par la méditation
des Mystères du Rosaire, et en formant ensemble une même vie
par la Communion, nous pouvons devenir, autant que notre
bassesse le permet, semblables à eux et apprendre par leurs
exemples sublimes à vivre de manière humble, pauvre, cachée,
patiente et parfaite».
Grâce à ce
processus de configuration au Christ, par le Rosaire, nous
nous confions tout particulièrement à l'action maternelle de
la Vierge Sainte. Tout en faisant partie de l'Église comme
membre qui «tient la place la plus élevée et en même temps la
plus proche de nous», elle, qui est la mère du Christ, est en
même temps la «Mère de l'Église». Et comme telle, elle
«engendre» continuellement des fils pour le Corps mystique de
son Fils. Elle le fait par son intercession, en implorant pour
eux l'effusion inépuisable de l'Esprit. Elle est l'icône
parfaite de la maternité de l'Église.
Mystiquement, le
Rosaire nous transporte auprès de Marie, dans la maison de
Nazareth, où elle est occupée à accompagner la croissance
humaine du Christ. Par ce biais, elle peut nous éduquer et
nous modeler avec la même sollicitude, jusqu'à ce que le
Christ soit «formé» pleinement en nous (cf. Ga 4,19). Cette
action de Marie, totalement enracinée dans celle du Christ et
dans une radicale subordination à elle, «n'empêche en aucune
manière l'union immédiate des croyants avec le Christ, au
contraire elle la favorise». Tel est le lumineux principe
exprimé parle Concile Vatican II, dont j'ai si fortement fait
l'expérience dans ma vie, au point d'en faire le noyau de ma
devise épiscopale «Totus tuus». Comme on le sait, il s'agit
d'une devise inspirée par la doctrine de saint Louis Marie
Grignion de Montfort, qui expliquait ainsi le rôle de Marie
pour chacun de nous dans le processus de configuration au
Christ: «Toute notre perfection consistant à être conformes,
unis et consacrés à Jésus Christ, la plus parfaite de toutes
les dévotions est sans difficulté celle qui nous conforme,
unit et consacre le plus parfaitement à Jésus Christ. Or,
Marie étant de toutes les créatures la plus conforme à Jésus
Christ, il s'ensuit que, de toutes les dévotions, celle qui
consacre et conforme le plus une âme à Notre-Seigneur est la
dévotion à la Très Sainte Vierge, sa sainte Mère, et que plus
une âme sera consacrée à Marie, plus elle le sera à Jésus
Christ». Jamais comme dans le Rosaire, le chemin du Christ et
celui de Marie n'apparaissent aussi étroitement unis. Marie ne
vit que dans le Christ et en fonction du Christ!
Supplier
le Christ avec Marie
16. Le Christ nous
a invités à nous tourner vers Dieu avec confiance et
persévérance pour être exaucés: «Demandez et l'on vous
donnera; cherchez et vous trouverez; frappez et l'on vous
ouvrira» (Mt 7,7). Le fondement de cette efficacité de la
prière, c'est la bonté du Père, mais aussi la médiation du
Christ lui-même auprès de Lui (cf. 1Jn 2,1) et l'action de
l'Esprit Saint, qui « intercède pour nous » selon le dessein
de Dieu (cf. Rm 8, 26-27). Car nous-mêmes, «nous ne savons pas
prier comme il faut» (Rm 8, 26) et parfois nous ne sommes pas
exaucés parce que «nous prions mal» (cf. Jc 4,
2-3).
Par son
intercession maternelle, Marie intervient pour soutenir la
prière que le Christ et l'Esprit font jaillir de notre cœur.
«La prière de l'Église est comme portée par la prière de
Marie». En effet, si Jésus, l'unique Médiateur, est la Voie de
notre prière, Marie, qui est pure transparence du Christ, nous
montre la voie, et «c'est à partir de cette coopération
singulière de Marie à l'action de l'Esprit Saint que les
Églises ont développé la prière à la sainte Mère de Dieu, en
la centrant sur la Personne du Christ manifestée dans ses
mystères». Aux noces de Cana, l'Évangile montre précisément
l'efficacité de l'intercession de Marie qui se fait auprès de
Jésus le porte-parole des besoins de l'humanité: «Ils n'ont
plus de vin» (Jn 2,3).
Le Rosaire est à la
fois méditation et supplication. L'imploration insistante de
la Mère de Dieu s'appuie sur la certitude confiante que son
intercession maternelle est toute puissante sur le cœur de son
Fils. Elle est «toute puissante par grâce», comme disait, dans
une formule dont il faut bien comprendre l'audace, le
bienheureux Bartolo Longo dans la Supplique à la Vierge. C'est
une certitude qui, partant de l'Évangile, n'a cessé de se
renforcer à travers l'expérience du peuple chrétien. Le grand
poète Dante s'en fait magnifiquement l'interprète quand il
chante, en suivant saint Bernard: «Dame, tu es si grande et de
valeur si haute / que qui veut une grâce et à toi ne vient pas
/ il veut que son désir vole sans ailes». Dans le Rosaire,
tandis que nous la supplions, Marie, Sanctuaire de l'Esprit
Saint (cf.Lc 1, 35), se tient pour nous devant le Père, qui
l'a comblée de grâce, et devant le Fils, qu'elle a mis au
monde, priant avec nous et pour nous.
Annoncer
le Christ avec Marie
17. Le Rosaire est
aussi un parcours d'annonce et d'approfondissement, au long
duquel le mystère du Christ est constamment représenté aux
divers niveaux de l'expérience chrétienne. Il s'agit d'une
présentation orante et contemplative, qui vise à façonner le
disciple selon le cœur du Christ. Si, dans la récitation du
Rosaire, tous les éléments permettant une bonne méditation
sont en effet mis en valeur de manière appropriée, il y a la
possibilité, spécialement dans la célébration communautaire en
paroisse ou dans les sanctuaires, d'une catéchèse
significative que les Pasteurs doivent savoir exploiter. De
cette manière aussi, la Vierge du Rosaire continue son œuvre
d'annonce du Christ. L'histoire du Rosaire montre comment
cette prière a été utilisée, spécialement par les Dominicains,
dans un moment difficile pour l'Église à cause de la diffusion
de l'hérésie. Aujourd'hui, nous nous trouvons face à de
nouveaux défis. Pourquoi ne pas reprendre en main le chapelet
avec la même foi que nos prédécesseurs? Le Rosaire conserve
toute sa force et reste un moyen indispensable dans le bagage
pastoral de tout bon évangélisateur.
CHAPITRE II
MYSTÈRES
DU CHRIST – MYSTÈRES DE SA MÈRE
Le
Rosaire, «résumé de l'Évangile»
18. Pour être
introduit dans la contemplation du visage du Christ, il faut
écouter, dans l'Esprit, la voix du Père, car «nul ne connaît
le Fils si ce n'est le Père» (Mt 11, 27). Près de Césarée de
Philippe, à l'occasion de la profession de foi de Pierre,
Jésus précisera l'origine de cette intuition si lumineuse
concernant son identité: «Ce n'est pas la chair et le sang qui
t'ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux» (Mt 16,
17). La révélation d'en haut est donc nécessaire. Mais pour
l'accueillir, il est indispensable de se mettre à l'écoute:
«Seule l'expérience du silence et de la prière offre le cadre
approprié dans lequel la connaissance la plus vraie, la plus
fidèle et la plus cohérente de ce mystère peut mûrir et se
développer».
Le Rosaire est l'un
des parcours traditionnels de la prière chrétienne qui
s'attache à la contemplation du visage du Christ. Le Pape Paul
VI le décrivait ainsi: «Prière évangélique centrée sur le
mystère de l'Incarnation rédemptrice, le Rosaire a donc une
orientation nettement christologique. En effet, son élément le
plus caractéristique – la répétition litanique de l'Ave
Maria – devient lui aussi une louange incessante du
Christ, objet ultime de l'annonce de l'Ange et de la
salutation de la mère du Baptiste: “Le fruit de tes entrailles
est béni” (Lc1, 42). Nous dirons même plus: la répétition de
l'Ave Maria constitue la trame sur laquelle se
développe la contemplation des mystères: le Jésus de chaque
Ave Maria est celui même que la succession des mystères nous
propose tour à tour Fils de Dieu et de la Vierge».
Une
intégration appropriée
19. Parmi tous les
mystères de la vie du Christ, le Rosaire, tel qu'il s'est
forgé dans la pratique la plus courante approuvée par
l'autorité ecclésiale, n'en retient que quelques-uns. Ce choix
s'est imposé à cause de la trame originaire de cette prière,
qui s'organisa à partir du nombre 150, correspondant à celui
des Psaumes.
Afin de donner une
consistance nettement plus christologique au Rosaire, il me
semble toutefois qu'un ajout serait opportun; tout en le
laissant à la libre appréciation des personnes et des
communautés, cela pourrait permettre de prendre en compte
également les mystères de la vie publique du Christ entre le
Baptême et la Passion. Car c'est dans l'espace de ces mystères
que nous contemplons des aspects importants de la personne du
Christ en tant que révélateur définitif de Dieu. Proclamé Fils
bien-aimé du Père lors du Baptême dans le Jourdain, il est
Celui qui annonce la venue du Royaume, en témoigne par ses
œuvres, en proclame les exigences. C'est tout au long des
années de sa vie publique que le mystère du Christ se révèle à
un titre spécial comme mystère de lumière: «Tant que je suis
dans le monde, je suis la lumière du monde» (Jn
9,5).
Pour que l'on
puisse dire de manière complète que le Rosaire est un «résumé
de l'Évangile», il convient donc que, après avoir rappelé
l'incarnation et la vie cachée du Christ (mystères joyeux), et
avant de s'arrêter sur les souffrances de la passion (mystères
douloureux), puis sur le triomphe de la résurrection (mystères
glorieux), la méditation se tourne aussi vers quelques moments
particulièrement significatifs de la vie publique (mystères
lumineux). Cet ajout de nouveaux mystères, sans léser aucun
aspect essentiel de l'assise traditionnelle de cette prière, a
pour but de la placer dans la spiritualité chrétienne, avec
une attention renouvelée, comme une authentique introduction
aux profondeurs du Cœur du Christ, abîme de joie et de
lumière, de douleur et de gloire.

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Premier mystère
joyeux: L'Annonciation |
Mystères
joyeux
20. Le premier
cycle, celui des «mystères joyeux», est effectivement
caractérisé par la joie qui rayonne de l'événement de
l'Incarnation Cela est évident dès l'Annonciation où le salut
de l'Ange Gabriel à la Vierge de Nazareth rappelle
l'invitation à la joie messianique: «Réjouis-toi, Marie».
Toute l'histoire du salut, bien plus en un sens, l'histoire
même du monde, aboutit à cette annonce. En effet, si le
dessein du Père est de récapituler toutes choses dans le
Christ (cf. Ep 1, 10), c'est l'univers entier qui, d'une
certaine manière, est touché par la faveur divine avec
laquelle le Père se penche sur Marie pour qu'elle devienne la
Mère de son Fils. À son tour, toute l'humanité se trouve comme
contenue dans le fiat par lequel elle correspond avec
promptitude à la volonté de Dieu.

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Deuxième mystère joyeux: La
Visitation |
Troisième mystère joyeux: La Naissance de
Jésus |
C'est une note
d'exultation qui marque la scène de la rencontre avec
Élisabeth, où la voix de Marie et la présence du Christ en son
sein font que Jean «tressaille d'allégresse» (cf. Lc 1, 44).
Une atmosphère de liesse baigne la scène de Bethléem, où la
naissance de l'Enfant divin, le Sauveur du monde, est chantée
par les anges et annoncée aux bergers justement comme «une
grande joie» (Lc 2, 10).
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Quatrième mystère joyeux: La Présentation
de l'Enfant Jésus au Temple |
Cinquième mystère joyeux: Le Recouvrement
de l'Enfant Jésus a
Temple |
Mais, les deux
derniers mystères, qui conservent toutefois cette note de
joie, anticipent les signes du drame. En effet, la
présentation au temple, tout en exprimant la joie de la
consécration et en plongeant le vieillard Syméon dans
l'extase, souligne aussi la prophétie du «signe en butte à la
contradiction» que sera l'Enfant pour Israël et de l'épée qui
transpercera l'âme de sa Mère (cf. Lc 2, 34-35). L'épisode de
Jésus au temple, lorsqu'il eut douze ans, est lui aussi tout à
la fois joyeux et dramatique. Il se dévoile là dans sa divine
sagesse tandis qu'il écoute et interroge; et il se présente
essentiellement comme celui qui «enseigne». La révélation de
son mystère de Fils tout entier consacré aux choses du Père
est une annonce de la radicalité évangélique qui remet en
cause les liens même les plus chers à l'homme face aux
exigences absolues du Royaume. Joseph et Marie eux-mêmes, émus
et angoissés, «ne comprirent pas» ses paroles (Lc 2,
50).
Méditer les
mystères «joyeux» veut donc dire entrer dans les motivations
ultimes et dans la signification profonde de la joie
chrétienne. Cela revient à fixer les yeux sur la dimension
concrète du mystère de l'Incarnation et sur une annonce encore
obscure et voilée du mystère de la souffrance salvifique.
Marie nous conduit à la connaissance du secret de la joie
chrétienne, en nous rappelant que le christianisme est avant
tout euangelion, «bonne nouvelle», dont le centre, plus
encore le contenu lui-même, réside dans la personne du Christ,
le Verbe fait chair, l'unique Sauveur du
monde.